Chapitre 2

Le maléfice de la sorcière

Les convictions menaçantes inconscientes

Tant que tout va bien pour un homme, sa conscience est indulgente, mais lorsque le malheur le frappe, il fouille son âme,

reconnaît ses torts, élève les exigences de sa conscience, s'impose des privations et fait pénitence.

SICMUND FREUD

Nous commençons dès notre plus tendre enfance à développer des idées sur le fonctionnement du monde: si je touche la cuisinière brûlante, j'aurai mal; si je pleure, maman viendra me consoler. Nous sommes cependant, à cet âge, encore ignorants des relations de cause à effet et en venons de temps à autre à des conclusions irrationnelles.

Comment nos actions affectent-elles nos parents? Voilà l'une des choses les plus importantes que nous devons apprendre. À cause de notre nature altruiste, dont nous avons parlé au chapitre 1 - et parce que notre survie même dépend du maintien des liens qui nous unissent à notre père et à notre mère

nos contacts avec nos parents sont de la plus haute importance. Il se peut donc que nous condamnions tout trait de notre personnalité qui semble les déranger et que nous rejetions tout objectif à l'égard duquel ils se montrent critiques. Car nous craignons que, blessés ou offensés, ils ne nous retirent l'appui, l'amour ou la protection dont nous avons besoin pour survivre.

Une enfant pleine d'entrain qui sent que sa bruyante énergie dérange sa mère déprimée en conclura peut-être que sa vivacité est un dangereux défaut. Conséquemment, elle réprimera peut-être son enjouement et son enthousiasme pour devenir~ elle aussi, déprimée.

Si, par contre, elle garde sa vivacité, elle se convaincra peut-être au fond d'elle-même que son exubérance est mauvaise et fait du mal aux autres. Cette conviction inconsciente peut devenir si puissante qu'elle la poussera à agir de façon à faire de cette sombre conviction une réalité: elle parlera peut-être sans y être autorisée en classe, ou se montrera désobéissante, de façon à être réprimandée par ses professeurs. Ainsi, les idées inconscientes - "prophétiques" - que nous nous faisons en cherchant à maintenir les liens qui nous unissent à nos parents peuvent finir par s'auto réaliser du seul fait qu'elles ont été énoncées.

Les convictions qui ne changent pas

Lorsque nous étions de très jeunes enfants, quelques-unes de nos théories sur le rapport de cause à effet étaient partiellement ou totalement incorrectes. Avec le temps, cependant, nous avons pu tester nos suppositions erronées et raffiner notre compréhension du fonctionnement du monde. Ainsi, en vieillissant, nous avons développé un ensemble d'idées beaucoup plus justes sur ce qui nous entoure.

Mais il semble que certaines de nos convictions soient trop douloureuses ou menaçantes pour être examinées. Alors, plutôt que de les vérifier, nous les refoulons tout simplement dans notre inconscient. Malheureusement, une conviction inconsciente ne peut plus être soumise à une vérification rationnelle. C'est pourquoi certaines des fausses suppositions que nous formulons dans l'enfance ne sont jamais rectifiées et peuvent finir par avoir une influence terrible sur nos vies.

Ces suppositions erronées, la Control Mastery Theory les appelle "convictions menaçantes inconscienteS2". Elles prennent généralement la forme suivante: si je poursuis X (un objectif désirable), V (une terrible catastrophe) se produira dans ma vie ou celle d'un membre de ma famille. Nous nous convainquons que, si nous respectons nos impulsions, nos désirs et nos aspirations, nous attirerons d'affreux malheurs sur nous ou sur ceux qui nous sont chers.

Le cas d'Anne

Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, Anne se jugeait coupable du crime imaginaire d'avoir tué son père parce que, juste avant sa mort, elle avait refusé de l'embrasser et de lui dire au revoir. La mère d'Anne était une femme malheureuse et insatisfaite qui devint plus abattue encore après la mort de son mari. Son seul plaisir semblait consister à contrôler les moindres détails de la vie d'Anne. Si cette dernière se fâchait à cause des indiscrétions de sa mère, celle-ci se montrait terriblement blessée. Plutôt que d'aider Anne à se débarrasser de son sentiment de culpabilité lié à la mort de son père, sa mère ne fit que le renforcer.

La conviction inconsciente d'avoir tué son père a donné naissance chez Anne à une foule de pensées menaçantes inconscientes. Se considérant comme une meurtrière, elle a l'impression qu'elle mérite peu de plaisir ou de satisfaction. Et parce qu'elle croit que sa colère entraînera la perte de ceux qu'elle aime, elle est incapable d'exprimer de la colère dans ses rapports personnels avec les gens.

Conséquemment, Anne se trouve toujours face à un dilemme. Si elle exprime librement ses pensées et ses sentiments, elle a l'impression qu'elle va perdre l'être qu'elle aime. Si par contre elle ne le fait pas, elle devient de plus en plus amère et cesse d'éprouver de l'affection. Elle n'a jamais été capable, jusqu'à présent, de maintenir avec qui que ce soit une relation intime positive.

Un exemple d'auto sabotage

Agé de vingt-quatre ans, Henri était un jeune homme brillant, de belle prestance, qui travaillait comme cadre subalterne dans une grande compagnie de produits chimiques. Il était compétent, ambitieux, et avait reçu une bonne formation, mais, chaque fois qu'il tentait d'obtenir une promotion, il oubliait de mettre à la poste une lettre d'une importance cruciale, présentait un rapport bâclé ou faisait en sorte de se disputer avec l'un de ses supérieurs. En conséquence, on lui préféra à plusieurs reprises d'autres candidats.

Lorsque Henri était enfant, son père était contremaître dans une usine de montage d'automobiles. C'était un bon travailleur, mais il n'avait que des connaissances rudimentaires. Les jeunes hommes qu'il entraînait obtenaient toujours de l'avancement alors que lui-même ne montait jamais en grade. Le père d'Henri avait fini par se sentir profondément humilié. Ce scénario s'étant répété maintes et maintes fois, il s'était répété dans la tête qu'il était l'objet d'un complot. Au fil des ans, il était devenu amer et malheureux et s'était mis à boire avec excès tout en se montrant très critique à l'égard d'Henri. Parfois, quand il était ivre, il lui arrivait d'accabler d'injures les jeunes hommes qui avaient reçu une instruction universitaire et obtenu les promotions que lui-même aurait voulu décrocher. Il se lançait alors dans d'interminables explications pour prouver à sa femme et à ses enfants que "ces garçons sortis de l'université n'avaient que des connaissances livresques" et qu'en réalité ils ne valaient rien.

Ni l'un ni l'autre des deux frères d'Henri n'étaient de bons étudiants; Henri était toujours le premier de sa classe. Son père ainsi que ses frères lui en voulaient de ses succès scolaires. Parfois, quand Henri recevait un prix d'excellence, ses frères le rouaient de coup, disant que "ça lui apprendrait à vouloir faire le je sais tout". Son père ne s'interposait qu'en de rares occasions.

La mère d'Henri était une femme douce, patiente, légèrement dépressive, qui avait quitté, au moment de son manage, un emploi agréable comportant des responsabilités dans un grand bureau. Même lorsque Henri et ses frères avaient été plus

âgés, son mari avait refusé de la laisser retourner travailler. Il craignait que les gens ne pensent qu'il n'était pas assez viril pour faire vivre sa famille. Henri était le favori de sa mère et le seul qui eût jamais fréquenté l'université.

Dès son jeune age, Henri avait eu l'impression que son père lui en voulait de la même manière qu'il en voulait à ses jeunes collègues qui obtenaient de l'avancement à sa place. Il était clair qu'il était humilié de se faire dépasser, et Henri sentait inconsciemment que son père était humilié de la même façon par ses propres succès. Lorsque, par la suite, il s'était opposé à son projet de poursuivre des études universitaires, Henri était devenu de plus en plus convaincu que son père ne voulait pas qu'il réussisse.

Après s'être vu lui-même refuser à plusieurs reprises les promotions qu'il comptait obtenir, Henri avait commencé de soupçonner qu'il sabotait lui-même ses propres efforts pour obtenir de l'avancement et avait décidé d'entreprendre une thérapie4.

Quand nos propres succès

nous paraissent humiliants pour les autres

Au fur et à mesure que progressait sa thérapie, Henri réalisa qu'il craignait, en réussissant sur le plan professionnel, de faire du mal à tous les membres de sa famille. Il avait l'impression d'avoir déjà humilié son père en fréquentant l'université et en trouvant par la suite un poste de col blanc. Une promotion n'allait qu'aggraver l'offense. Henri avait également l'impression qu'il ferait du mal à sa mère. Après tout, il jouirait d'un poste de direction très semblable à celui qu'elle avait abandonné. Enfin, il croyait qu'il ferait du mal à ses frères qui lui en avaient toujours voulu de ses succès.

Henri se trouvait donc face à un terrible dilemme: il était doué et ambitieux, mais il ne pouvait supporter le sentiment de culpabilité engendré par la certitude qu'en réussissant il allait blesser les siens. Il avait résolu ce dilemme en ne donnant le meilleur de lui-même que lorsqu'il ne courait aucun risque d'obtenir une promotion. Après avoir plus d'une fois ruiné ses chances d'être promu, Henri s'était rendu compte que des employés plus jeunes obtenaient des promotions et le dépassaient. Plutôt que de surpasser son père, il s'était retrouvé dans une situation semblable à la sienne.

Les navigateurs avant Christophe Colomb

Une personne qui entretient une conviction menaçante inconsciente est comme un navigateur ayant vécu avant l'époque de Christophe Colomb. Même si un tel explorateur n'ajoutait pas foi à la théorie selon laquelle on tombait de l'extrémité de la terre si l'on s'aventurait à naviguer vers l'ouest, il lui fallait beaucoup de courage pour prendre l'épouvantable risque, tant pour lui-même que pour son équipage, de se tromper. Cette analogie est particulièrement appropriée puisqu'elle montre qu'en ne vérifiant pas nos convictions menaçantes nous nous préoccupons non seulement de notre bien-être, mais aussi de celui des autres.

Une conviction menaçante est une sorte de maléfice psychologique qui nous laisse entrevoir d'affreuses conséquences si nous poursuivons nos désirs. Depuis longtemps, les psychothérapeutes sont conscients du fait que nous pouvons souffrir d'un sentiment inconscient de culpabilité lorsque nous sommes cupides, lâches, égoïstes ou furieux, que nous avons des pensées meurtrières ou que nous sommes excités par des objets sexuels tabous. Ce que Weiss a découvert, en revanche, c'est que nous pouvons nous sentir coupables de n'importe lequel de nos traits de caractère, de nos désirs ou aspirations, quelle qu'en soit la valeur. Tant que pareilles aspirations semblent déranger nos parents, nous pouvons nous convaincre que le fait de les poursuivre équivaut à faire du mal aux nôtres.

a Si votre père ou votre mère étaient envahissants et avaient besoin que vous demeuriez dépendant, le désir d'être indépendant a pu devenir un crime imaginaire.

* Si votre père ou votre mère étaient distants et irrités par votre désir d'être dépendant et de rester en relation étroite avec eux, votre désir d'intimité a pu devenir un crime imaginaire.

* Si votre père ou votre mère semblaient dérangés par toute expression de tristesse de votre part, le fait de ressentir ou de montrer de l'affliction a pu devenir un crime imaginaire.

a Si votre père ou votre mère paraissaient déprimés et sombres et ne semblaient pas approuver la joie ni l'entrain, votre désir d'être heureux peut constituer un crime imaginaire.

La volonté d'être indépendant peut être un crime imaginaire dans une famille, alors que dans une autre ce sera le désir d'être dépendant d'un parent qui le sera. Certains parents agissent même comme s'ils étaient blessés lorsque leur enfant part jouer avec ses amis, alors qu'ils se montrent accablés lorsque le même enfant veut qu'ils s'occupent de lui. Placé dans une telle situation, un enfant se sentira coupable à la fois de son désir d'indépendance et de son besoin de dépendance.

Convictions menaçantes dues

à un message maintes fois répété

C'est à travers un processus lent et progressif, s'étendant sur plusieurs années, que la plupart d'entre nous acquérons nos convictions menaçantes. Henri avait développé sa propre conviction menaçante - qu'il serait pour lui cruel et dangereux de réussir - à la suite des nombreuses critiques de son père, de ses plaintes à propos de son travail, et des commentaires et comportements de ses frères. Nul de ces incidents n'était en soi particulièrement marquant, mais, considérés dans leur ensemble, ils avaient servi à véhiculer un message on ne peut plus clair et fort. La conviction d'Henri selon laquelle son succès ferait du mal aux siens est un exemple de conviction menaçante due à un message maintes fois répété5. Elle n'est pas fondée sur un seul incident traumatisant, mais sur une série d'interactions survenues une infinité de fois sur une longue période de temps.

Certaines de ces convictions menaçantes proviennent de messages négatifs des parents. Si l'on répète encore et encore à un jeune garçon qu'il ne vaudra jamais rien, il est fort probable qu'il grandira avec cette conviction. Si la mère d'une jeune fille lui dit sans cesse qu'on ne peut faire confiance aux hommes, celle-ci aura beaucoup de mal à nouer une relation stable avec un homme. Nous donnerons plus de détails au chapitre 6 sur les effets des messages négatifs des parents.

Convictions menaçantes dues à un traumatisme

Il arrive à l'occasion que nos convictions menaçantes naissent d'un seul incident bouleversant. Anne avait acquis la conviction menaçante qu'en refusant son affection ou en défiant un être aimé elle lui ferait du mal ou le perdrait à jamais - parce que son père avait perdu la vie peu de temps après qu'elle eut refusé de l'embrasser au moment de son départ. Un enfant qui vit la mort de son père ou de sa mère ou d'un membre de sa famille se sentira presque toujours responsable de cette tragédie.

Un adulte, comme l'enfant, se remet avec peine d'un événement traumatisant - la mort soudaine d'un être cher, une maladie, un incident, un vol, une agression sexuelle, une catastrophe naturelle ou d'autres malheurs. Nous avons tous tendance à nous sentir responsables de ces événements traumatisants, même si nous n'avions aucune prise sur eux. Si un ami se suicide, nous nous reprochons de ne pas l'avoir prévu, de n'avoir rien fait pour l'en empêcher. Chez l'enfant, cette attribution irrationnelle de culpabilité est encore plus prononcée.

Certaines personnes entreprennent une thérapie afin de trouver l'événement précis qui est à l'origine de leurs problèmes. Elles ne le découvrent presque jamais. La raison en est simple: la vaste majorité de nos problèmes résulte de convictions menaçantes dues à des messages maintes fois répétés. Les convictions menaçantes dues à des traumatismes sont beaucoup moins répandues.

Séparation et autres traumatismes

De longues séparations d'avec nos parents - ou des séparations qui surviennent dans des

circonstances effrayantes - peuvent aussi engendrer des convictions menaçantes inconscientes.

Alors que Paul avait deux ans et demi, son frère aîné attrapa la rougeole. Craignant que Paul ne soit contaminé, sans aucun préavis et avec des explications sommaires, ses parents l'envoyèrent vivre chez un oncle et une tante. Comme ils avaient à l'époque d'énormes problèmes, les parents de Paul ne le ramenèrent à la maison que trois mois plus tard.

Au moment de la séparation, Paul était un enfant volontaire et plein de vivacité. Lorsqu'il revint chez lui trois mois plus tard, il était silencieux, tendu et presque trop anxieux de plaire. Lorsqu'il entreprit une thérapie à l'âge de trente-deux ans, Paul n'était pas très différent du petit garçon silencieux et tendu qui était revenu de chez sa tante et de son oncle. Inconsciemment, il avait cru qu'on l'avait envoyé loin de la maison parce qu'il était trop agité et trop hardi. Pendant toutes les années qui avaient suivi, il avait adhéré à la conviction menaçante inconsciente qu'un tel comportement mènerait à un rejet6.

D'autres types de traumatismes subis par l'enfant peuvent

avoir des conséquences semblables. Cela inclut les accidents et les maladies (aussi bien les nôtres que celles des membres de notre famille), les agressions physiques ou sexuelles, les problèmes financiers de la famille, ou un comportement maniaque,

dépressif ou schizophrène chez un membre de la famille, ou encore un problème d'alcoolisme. Nous discuterons plus longuement au chapitre 10 des manières suivant lesquelles pareil

traumatisme permanent au sein de la famille peut donner naissance à des convictions menaçantes inconscientes.

Le maléfice de la sorcière

Ces convictions menaçantes sont comme des maléfices dans un conte de fées. C'est une sorcière furieuse de ne pas avoir été invitée au baptême royal qui jeta un sort à la Belle au bois dormant. Tout comme cette dernière allait à la catastrophe lorsqu'elle s'approcha du rouet qui la fascinait, nous craignons inconsciemment que le fait de rechercher l'indépendance, le succès et le bonheur que nous interdisent nos convictions inconscientes ne nous conduise à notre perte psychologique.

Ceux d'entre nous qui sommes intimement convaincus qu'une catastrophe finit toujours par arriver avons l'impression, lorsque tout va bien, que nous avons trompé temporairement le destin, comme quand on fraude le fisc: chacun sait qu'au bout du compte les autorités finissent par nous retrouver; nous devons alors payer tous les impôts arriérés en plus des amendes et risquons peut-être même une peine d'emprisonnement. Quand les choses tournent mal, de façon plus ou moins sérieuse, il nous semble qu'une fatalité horrible, mais inévitable, nous a finalement rattrapés. Nous avons alors l'impression que le seul fait d'avoir osé penser que nous pouvions réussir, nous réaliser ou être heureux était pure folie.

Après avoir abandonné ses études secondaires, Georges était devenu, grâce à son assiduité, un excellent reporter. Le jour où il se fit voler sa vieille Porsche, il fut complètement effondré. Cela confirmait la conviction inconsciente selon laquelle il n'allait jamais pouvoir conserver une chose à laquelle il tenait. Il fut obsédé pendant des semaines par l'idée qu'il allait perdre et son emploi, et son amie.

Plusieurs personnes souffrant de problèmes psychologiques portent le poids d'un sens négatif du destin. Quoi que nous fassions pour essayer d'y mettre fin, le pattern se perpétue.

La plupart d'entre nous avons l'impression, au moins de temps en temps, que nous sommes poursuivis par le sort. Les caractères particuliers de ce sentiment de détresse varient considérablement d'une personne à l'autre. On peut avoir l'impression d'avoir la guigne dans tous les domaines de notre vie, mais, généralement, cela se limite à un ou deux secteurs.

Certains réussissent très bien sur le plan professionnel, mais son incapables de maintenir une relation susceptible de les satisfaire. D'autres ont de bons rapports avec les gens, mais sont incapables d'obtenir le succès professionnel dont ils ont grand besoin. D'autres encore craignent de ne jamais pouvoir mettre de l'ordre dans leurs affaires financières, être satisfait sur le plan sexuel ou atteindre quelque autre but qui leur est cher.

Selon la Control Mastery Theory, notre "maléfice" n'est souvent que le résultat de notre conviction que nous faisons du mal à nos parents, que nous les accablons ou nous montrons

déloyaux envers eux. Tout comme la sorcière punit La Belle au bois dormant pour une offense qui lui a été faite par le roi et la reine, nous nous jetons un maléfice parce que nous croyons avoir fait du mal à nos parents. Le maléfice est le châtiment que nous nous imposons pour ces crimes imaginaires.

Des prophéties qui s'auto réalisent

Nombreux sont ceux d'entre nous qui, nous croyant voués à l'échec, avons beaucoup de mal à changer les comportements et les attitudes qui causent notre malheur: c'est que quelque chose nous pousse inconsciemment à faire en sorte que le maléfice se réalise.

e Michael, homme d'affaires, souffrait de la conviction que personne n'était digne de confiance. Ses parents étaient deux alcooliques sur qui il était impossible de compter. Il avait grandi sans jamais savoir si on tiendrait une promesse qu'on lui avait faite, si on lui donnerait de quoi manger ou si ses parents rentreraient le soir ou passeraient la nuit dehors. Il en était venu à croire qu'il était mauvais et méritait d'être ainsi maltraité. Devenu adulte, Michael s'assura inconsciemment d'obtenir ce qu'il croyait mériter en s'associant à un escroc reconnu et en épousant une femme notoirement légère.

* Charlotte était une femme brillante, compétente et particulièrement séduisante. Sa mère était une actrice fantasque qui n'avait pas eu de succès. Son père, un avoué, était un homme bon, d'une patience à toute épreuve, qui ne divorça jamais de sa femme malgré son irresponsabilité et ses infidélités intermittentes. Charlotte avait elle-même été mariée trois fois à des hommes affectueux qui l'épaulaient: chaque fois, elle avait ruiné la relation en ayant des liaisons avec d'autres hommes. Elle était poussée en cela par le besoin très vif et autodestructeur d'être loyale envers sa mère malheureuse et irresponsable.

* Maria, dont nous avons déjà parlé au premier chapitre, s'assurait d'avoir une vie sentimentale frustrante en choisissant constamment de mauvais partenaires - tout comme l'avait fait sa mère.

Abolir le maléfice

Certains d'entre nous parviennent à abolir le maléfice. Les encouragements fournis par un professeur exceptionnel, un religieux, un entraîneur, un conseiller ou un mentor nous aident souvent à nous en libérer. Un conjoint ou un(e) ami(e) proche qui nous aime et nous persuade que nos convictions sont sans fondement peut également nous aider.

La naissance d'un enfant, une nouvelle relation, une maladie grave ou le fait de frôler la mort, tout cela peut nous donner l'impression d'avoir une deuxième chance. Une conversion religieuse, ou toute autre expérience spirituelle profonde, a parfois le même résultat. Il arrive même que la mort d'un père ou d'une mère abolisse le maléfice. Une fois que nous avons réalisé que nous ne pouvons plus faire du mal à notre père ou à notre mère, nous découvrons que nos problèmes ont tendance à diminuer.

Mais pour bien des gens, toutefois, ce sens de la catastrophe demeure étonnamment tenace. Nous retiendrons les événements qui "prouvent" la véracité du maléfice tout en ignorant ceux qui l'infirment. Par exemple, les encouragements d'un mentor seront perçus comme une preuve d'optimisme délirant. Nous croirons ne pas pouvoir compter sur l'affection et la sollicitude - que d'ailleurs nous jugerons suspectes - de nos proches et serons convaincus qu'ils nous rejetteront sitôt qu'ils découvriront qui nous sommes vraiment. Même le fait d'échapper à la mort pourra sembler n'être qu'un sursis. Et après la mort de notre père ou de notre mère, il se peut que nous intériorisions le défunt et en venions à le voir comme celui ou celle qui "regarde d'en haut", tout aussi désapprobateur et déçu que jamais. Pour certaines personnes, seule une psychothérapie individuelle ou de groupe permettra l'abolition du maléfice.

Une récompense mal comprise

Bien que paraissent plutôt plausibles les explications que nous

offre de notre comportement dysfonctionnel le simple bon sens

- "Je suis trop égoïste"; "Je me soucie peu des autres, au fond";

"Je suis paresseuse ou indisciplinée"; "J'ai peur des responsabilités"; "Je ne suis pas assez intelligent" -, elles sont presque toujours fausses et visent à cacher une conviction menaçante inconsciente - "Je suis une mauvaise personne qui ne mérite pas de réussir" ou: "Je ferai du mal à mes parents si je réussis."

Il est tentant de croire que si nous répétons sans arrêt les mêmes conduites d'échec, c'est que nous devons bien "en tirer

quelque chose". Nous essaierons alors de voir les châtiments que nous nous imposons comme une récompense cachée:

Nos échecs nous vaudront la sympathie des autres.

Les souffrances que nous nous infligeons attireront l'attention.

Nos impitoyables autopunitions nous offriront le "bénéfice" masochiste de l'apitoiement sur soi-même.

Bien qu'il y ait une part de vérité dans chacune de ces

idées, elles n'ont pas de raison d'être. Lorsque nous nous répétons ces choses, nous ne faisons que nous punir davantage. En disant à une patiente qui souffre qu'elle se complaît à s'apitoyer sur elle-même, ou cherche à attirer l'attention, un thérapeute ne réussira vraisemblablement qu'à aggraver sa souffrance.

Henri, par exemple, avait sa propre théorie pour expliquer

pourquoi il commettait toujours quelque erreur cruciale au moment d'obtenir une promotion. Il croyait que sa peur de l'échec l'empêchait de prendre de nouvelles responsabilités plus lourdes. Cette explication était plausible, mais la véritable raison était que Henri craignait de faire du mal à son père et à ses frères.

Après être parvenu à identifier ses convictions inconscientes, Henri comprit de quelle façon elles s'insinuaient partout dans sa vie. Dès qu'il commença à s'en défaire, il s'aperçut qu'il était capable de cesser de saboter ses propres efforts au travail. Il finit par obtenir plusieurs promotions bien méritées.

Les causes de l'auto sabotage

La Control Mastery Theory propose une nouvelle façon de comprendre les origines de ces comportements, attitudes et sentiments douloureux et contraires à ce à quoi nous aspirons. Ces convictions ont été engendrées par les traumatismes particuliers dont nous avons souffert, ainsi que par les expériences que nous avons connues pendant notre croissance, et sont donc différentes pour chacun de nous. Elles sont en nous depuis fort longtemps et font partie d'un système de croyances qui nous a guidés tout au long de notre vie. Aussi irrationnelles qu'elles puissent être, elles nous ont permis de survivre.

Nous répugnons - et cela est tout naturel et compréhensible - à nous défaire de convictions inconscientes que nous avons depuis longtemps. Après tout, notre système de croyances est notre carte routière dans la vie, notre guide pour agir, ce qui nous a permis de survivre. On ne doit pas s'attendre à une transformation rapide ou facile. Le changement ne se fait souvent que petit à petit et peut prendre plusieurs mois ou années.

Le simple fait de comprendre l'importance de nos convictions inconscientes ne les fera pas disparaître pour autant. Mais cette première étape est importante. Au chapitre 3, nous examinerons de plus près la conviction que nous avons d'avoir commis des crimes imaginaires contre nos parents ou d'autres membres de notre famille, ainsi que les six types de crimes imaginaires.