6. Les messages négatifs

Un autre crime imaginaire:
être foncièrement mauvais

Faites en sorte que votre enfant vous entende
soupirer chaque jour: si vous ne savez pas ce
qu'il a fait pour vous faire souffrir, lui le saura.
DAN GREENBURG

Certains d'entre nous nous sentons coupables du crime imaginaire d'être foncièrement mauvais. Nous croyons peutêtre manquer d'intelligence, de moralité, être peu séduisants ou incapables d'aimer. Ou alors, nous nous trouvons lâches, laids, médiocres, ou nous croyons simplement compter pour peu. Cette impression profonde que nous avons d'être irrémédiablement tarés ou insignifiants nous vient des messages négatifs que nous ont transmis nos parents. On nous a peut-être dit que nous étions stupides, ignobles ou répugnants et traités comme si nous comptions pour peu, comme si nos sentiments et nos pensées n'avaient pas d'importance. Nous n'avons peut-être reçu ni amour ni sollicitude, nous sentant comme des objets servant seulement les plaisirs et les besoins de nos parents. Enfin, on nous a peut-être maltraités, verbalement, physiquement ou sexuellement. En cons équence, nous avons sûrement acquis la conviction profonde et souvent inconsciente que nous sommes des êtres tarés. Contrairement aux autres crimes imaginaires, pour lesquels nous croyons avoir fait du mal aux autres, celui-ci ne fait pas de victime. Le malaise vient de ce que nous nous croyons ignobles, répugnants, insignifiants, décevants, indignes d'être aimés, sans valeur. Il ne s'agit pas de quelque chose que nous avons fait ou omis de faire, mais de ce que nous sommes'.

La thérapie de Marie

Grande, mince, âgée de quarante-deux ans, Marie était une secrétaire de direction à la personnalité ouverte et au rire contagieux. Lorsqu'elle commença sa thérapie, elle se plaignait d'être toujours attirée par des hommes qui la maltraitaient. Elle tombait toujours amoureuse d'hommes qui la critiquaient, la rabaissaient ou profitaient d'elle. Pendant le temps que duraient ces liaisons, Marie avait beaucoup de mal à se défendre. Et il lui semblait presque impossible de sortir de ces mauvaises relations. Elle passait des mois ou des années avec des hommes qu'elle aurait dû fuir dès le premier rendez-vous.

Marie avait décidé d'entreprendre une thérapie après, avoir lu une description terriblement fidèle de son modèle destructif de comportement dans le livre de Robin Norwood, Ces femmes qui aiment trop. "C'était terrifiant, expliqua-t-elle. J'ai compris que je mettais tout sur le dos des hommes de ma vie. En lisant ce livre, je me suis rendu compte que mes problèmes provenaient de quelque chose que je faisais moi-même. "

L'histoire de sa famille aida à éclaircir le problème de Marie: avant sa naissance, son père avait échoué dans ses études de médecine. Il était devenu représentant de commerce pour une grande compagnie de médicaments et s'était trouvé dans la situation humiliante de devoir rendre visite à des hommes et à des femmes qui auraient été ses collègues s'il était devenu médecin.

S'étant attendue à être femme de médecin, la mère de Marie fut amèrement déçue par son mari qui réagit à ses critiques en se mettant à boire, en se querellant sans cesse avec

elle, en critiquant ses enfants et en se moquant d'eux. Parmi les surnoms qu'il donnait à sa fille, il y av-ait "corne de brume" (parce quil trouvait qu'elle parlait trop fort), "paquet d'os" (parce qu'elle était grande et maigrelette) et "bébé braillard" (parce que ses railleries la faisaient souvent fondre en larmes).

La mère de Marie, femme amère et découragée, ne protégeait jamais sa fille contre son père, acceptant cette façon qu'il avait de la tourner en ridicule, et semblant même y prendre plaisir. Elle aussi critiquait sans pitié Marie, lui reprochant d'être égocentrique, entêtée et exigeante.

Le père de Marie lui répétait souvent qu'elle ne pourrait jamais trouver un homme convenable, étant trop grande, trop bruyante et trop émotive. À mesure que progressa la thérapie, Marie comprit que même si elle s'était continuellement battue contre son père, elle l'avait entendu répéter si souvent cette funeste prédiction qu'elle en était venue à le croire. Chaque fois qu'elle se querellait avec l'un de ses amants, elle se disait que c'était elle qui avait tort.

Cette tendance à se blâmer sévèrement elle-même avait poussé Marie à faire des choses qui lui répugnaient profondément. Lorsque, par exemple, l'un de ses amants avait insisté pour qu'elle couche avec l'un de ses amis dans le but de pimenter leur vie sexuelle, elle avait accepté de le faire. Et même si toute cette expérience lui avait fait horreur, elle avait fini par convenir avec son amant que sa réaction était due à son manque d'audace sur le plan sexuel.

Marie ne se sentait pas capable de se défendre, ni de prendre l'initiative de rompre une relation même malheureuse. Elle craignait de se retrouver seule, convaincue qu'il lui serait impossible de trouver un autre homme pour remplacer celui qu'elle aurait quitté. Elle avait inconsciemment l'impression d'être peu séduisante, peu aimable, de ne rien mériter de bon et d'être vouée à ne jamais avoir une relation satisfaisante avec un homme. La conviction qu'elle avait d'être née ainsi et de n'y pouvoir rien changer était le résultat direct des critiques cruelles de ses parents.

Pourquoi les parents transmettent-ils des messages négatifs?

Tous les parents transmettent de temps à autre à leurs enfants des messages potentiellement nuisibles. Mais il est rare que cela soit fait dans une intention malveillante. Dans la plupart des cas, les parents répètent tout simplement le même type de commentaires critiques, humiliants et dévalorisants qu'ils ont entendus de leurs propres parents. Même le père de Marie, qui avait transmis à sa fille quantité de messages extrêmement destructeurs, ne voulait pas lui faire de mal. Le plus souvent, il réagissait simplement à ses propres humiliations et frustrations en répétant les pa~tterns de comportement dysfonctionnels de son propre père. A cause de ses propres problèmes psychologiques, il se sentait souvent dépassé par ses responsabilités de père.

Lorsque nous parlons de messages négatifs, nous ne parlons pas de ceux qui ne sont qu'occasionnels Les parents ne doivent pas s'alarmer outre mesure s'ils se surprennent à rembarrer avec humeur leur enfant, ou à lui dire à l'occasion quelque chose qui puisse être interprété comme critique, dévalorisant ou humiliant. Si cela n'arrive que rarement et s'ils sont capables de présenter leurs excuses à l'enfant, pareils incidents ne risquent pas de produire un mal durable. Les messages qui sont les plus susceptibles de créer des convictions inconscientes nocives sont ceux que l'on entend maintes et maintes fois tout au long de l'enfance.

Les messages négatifs les plus importants proviennent généralement de nos parents, mais il est possible que d'autres personnes nous en transmettent, nos frères ou nos soeurs par exemple, ou des substituts de nos parents oncles ou tantes, professeurs, entraîneurs sportifs ou leaders religieux. Quelle que soit leur source, ces messages peuvent engendrer le crime imaginaire d'être foncièrement mauvais. Et une fois que ces convictions négatives à notre sujet sont installées dans notre inconscient, elles peuvent être très difficiles à déloger.

Messages directs et indirects

Certains messages négatifs sont indubitablement directs. Ce sont ces rebuffades pures et simples qui vous font dresser les cheveux sur la tête lorsque dans un supermarché vous les entendez de la bouche d'une mère s'adressant à son enfant:

"Tu es bête."
"Tu es fou."
"Tu es stupide."
"Tu n'es bon à rien. "
"Ne peux-tu rien faire correctement?"
"Pourquoi ne ressembles-tu pas davantage à ton frère ?"

"Ferme-la, sinon je te donnerai une vraie raison de pleurer."

Mais, bien que douloureuses et blessantes, ces accusations cruelles sortent au moins au grand jour. Il est souvent plus facile de les affronter que des messages moins directs.

D'autres messages, en effet, ne sont jamais formulés directement, mais seulement implicitement. Et comme l'enfant en vient tout de même à tirer des conclusions négatives à propos de lui-même, sans toutefois être capable d'identifier leur provenance, elles sont parfois plus difficiles à corriger.

Si un enfant est ignoré, ou si ses propres souhaits et préférences ne sont jamais pris en considération, il risque fort d'en conclure qu'il compte pour peu et que ses pensées ou ses sentiments n'ont aucune importance.

- Si ses parents sont nerveux, s'ils "marchent sur des oeufs" dès qu'ils se trouvent dans son entourage, l'enfant en concluera peut-être qu'il y a en lui quelque chose de dangereux ou de terrible.

- Si l'on habille un enfant, qu'on le fait danser, jouer d'un instrument, ou réciter des poèmes, qu'on l'exhibe sans égards pour ses propres désirs, il y a de fortes chances pour qu'il ait la sensation d'être une poupée -ou un objet dont la seule valeur réside dans son apparence.

- Si l'on maltraite ou exploite sexuellement un enfant, il peut se sentir sale et répugnant et en venir à la conclusion qu'il n'a pas le droit de se défendre ou de repousser des avances importunes.

- Si l'on couvre un enfant de honte à cause de désirs et de comportements naturels, il pourra en venir à avoir profondément honte de lui-même.

- Si l'on dit à un garçon que son père est un minable et qu'il lui ressemble, ou à une fillette que sa mère est une salope et qu'elle lui ressemble, l'un et l'autre se sentiront vraisemblablement condamnés, tarés et honteux.

- Si un enfant est constamment harcelé et critiqué, il aura tendance à croire que rien de ce qu'il peut faire n'est jamais assez bon, et qu'en dépit de ses efforts il finira inévitablement par échouer.

- Si un enfant est traité comme l'enfant chéri et qu'on s'attend à ce qu'il excelle en tout, il en viendra peut-être à penser que, quoi qu'il fasse, il n'arrivera jamais à satisfaire les attentes excessives de ses parents. Ainsi, même s'il réussit fort bien, il aura peut-être en son for intérieur l'impression d'avoir échoué.

Messages culpabilisants

Ces messages peuvent être difficiles à identifier parce que souvent ils ressemblent aux lamentations d'un père ou d'une mère surmenés et laissent sous-entendre que les parents font de terribles sacrifices. Par exemple, une mère se plaindra d'avoir abandonné l'université ou sa carrière professionnelle ou artistique pour prendre soin de son enfant.

Un père avouera être resté avec une femme cruelle qui ne l'aimait pas pour le bien de son enfant. Des parents pourront transmettre un message négatif à leur enfant en traitant les agissements normaux de celui-ci turbulence, manque de coopération, désir d'indépendance ou d'intimité - comme s'il s'agissait de crimes flagrants. Avec des soupirs et des mimiques exprimant leur lassitude, les parents peuvent laisser entendre de façon non verbale que leur enfant est pour eux un terrible fardeau. La plupart de ces parents nieraient avec indignation - et très sincèrement - avoir utilisé consciemment ces techniques pour inspirer à leur enfant un sentiment de culpabilité et le mettre dans l'embarras. Le plus souvent, ils auront tout simplement reproduit les façons d'agir apprises de leurs propres parents.

Aux prises avec la toxicomanie

Un père ou une mère alcooliques ou toxicomanes peuvent transmettre à un enfant quantité de messages négatifs. La mère de Janette avait deux personnalités distinctes - l'une lorsqu'elle était sobre et l'autre lorsquelle était ivre. Sobre, elle était responsable, légèrement déprimée et demandait pardon. Ivre, elle accusait Janette d'être un fardeau pour elle, d'être égoïste et ingrate et de ruiner ses chances de poursuivre une carrière professionnelle. En conséquence, Janette avait grandi avec l'idée qu'elle était la cause de la tristesse de sa mère. Celleci se rendait compte qu'elle faisait du mal à sa fille lorsquelle était ivre, mais elle était incapable de cesser de boire et avait honte de demander de l'aide.

Adulte, Janette devint un excellent avoué et se spécialisa dans les causes de divorces et de garde d'enfants. Bien que compétente et séduisante, elle était chroniquement déprimée. Elle abusait de drogues et d'alcool et n'avait que peu d'estime pour elle-même. Sa vie conjugale, dans l'ensemble assez heureuse, était cependant ponctuée d'âpres querelles, généralement précédées d'un abus de drogue ou d'alcool de la part de Janette. Après avoir longtemps souffert de cette situation, son mari insista finalement pour entreprendre une thérapie de couple. En discutant de leur relation avec un thérapeute, Janette comprit qu'elle devenait extrêmement anxieuse sitôt que les choses allaient bien chez elle. Elle se souvenait que quand tout semblait calme dans la maison de son enfance, une nouvelle crise de rage causée par l'ivresse de sa mère pouvait éclater à tout moment.

Janette avait reçu le message tacite qu'il était dangereux de se détendre et de s'attendre à être bien traitée. Devenue adulte, elle court-circuitait cette douloureuse appréhension en provoquant elle-même des querelles, déclenchant donc ces confrontations qu'elle craignait tant, tout enfant. Et en se comportant de la sorte, elle confirmait lopinion de sa mère, selon laquelle elle était égoïste et ingrate.

Les messages négatifs que nous recevons d'une mère ou d'un père toxicomanes peuvent être particulièrement difficiles à surmonter. (Pour en savoir davantage sur ces messages négatifs et apprendre à y faire face, voir le chapitre 10.)

D'une génération à l'autre

Nombreux sont les messages négatifs qui sont transmis d'une génération à l'autre. Le père de Karen était pasteur fondamentaliste dans une petite ville. On leur avait enseigné, à lui et à sa femme, que les enfants sont naturellement paresseux et portés au vice, et qu'on ne devrait leur permettre que peu ou pas de plaisir ni de loisir, par crainte de les gâter. On apprit à Karen à se tenir constamment occupée ("L'oisiveté est la mère de tous les vices") et on lui interdit de danser ou de chanter. La danse avait trop de connotations sexuelles et le chant était réservé aux hymnes. On la mettait sans cesse en garde contre les pensées frivoles. La mère de Karen agissait comme si la seule tâche de prendre soin de sa fille avait été au-dessus de ses forces.

Karen entreprit une thérapie parce qu'elle était constamment inquiète et incapable de se détendre. Elle se rendait compte qu'elle causait déception et chagrin à son mari et à ses enfants: jamais elle n'avait pris plaisir à faire l'amour avec son mari et, chaque fois que la famille planifiait des vacances, elle tombait malade.

Au cours de sa thérapie, elle commença à comprendre quel effet pénétrant avaient pu avoir les messages négatifs de ses parents. Ils l'avaient convaincue qu'elle était fondamentalement une pécheresse et ne méritait pas de se réaliser. Elle s'était reconnue coupable d'être foncièrement mauvaise.

Les mauvais traitements

Négligence et mauvais traitements constituent un type particulièrement destructif de messages parentaux. Un enfant exploité, brutalisé ou traité sans affection finit généralement par avoir l'impression qu'il n'est pas digne d'être aimé et ne mérite pas d'être bien traité.

Jacques, menuisier de quarante-cinq ans, mesurant 1,90 mètres et pesant 90 kilos, avait toujours cru avoir été un mauvais enfant parce que son père le battait sans cesse. Il lui arrivait parfois de se mettre lui-même dans de terribles colères et de faire des scènes chez lui, effrayant aussi bien son fils adolescent que sa femme. Il entreprit une thérapie après que sa femm l'eut quitté, le menaçant de divorce après dix-huit ans de mariage.

En cours de thérapie, Jacques commença de voir son père comme un homme amer et frustré qui, même adulte, subissait les critiques et les insultes de son propre père qui habitait la maison voisine. Il se rendit compte que les délits qu'il croyait avoir commis durant son enfance et qui avaient rendu son père tellement furieux n'étaient en fait que des petits méfaits sans gravité comme en commettent tous les enfants - prendre des pièces de monnaie dans la commode des parents ou salir ses vêtements en rentrant de l'école. Jacques commença à comprendre quil n'avait jamais été un mauvais enfant: son père, en revanche, n'était jamais parvenu à devenir un adulte mûr et responsables.

Comme bon nombre d'enfants maltraités, Jacques n'avait jamais admis qu'il avait été maltraité pendant son enfance. Il avait minimisé les fautes de son père et persisté à voir le comportement de celui-ci sous le jour le plus favorable. Au début de sa thérapie, il raconta qu'un jour son père l'avait "ramené à la raison " en lui administrant une bonne raclée.

À mesure que progressait la thérapie, Jacques commença à comprendre que les raclées quil avait reçues de son père avaient laissé des cicatrices, plutôt que des bienfaits. Il vit son père comme un homme troublé, incapable d'assumer le comportement de son fils de façon mûre et appropriée. Parce qu'il n'avait jamais vraiment voulu admettre la nature nuisible du comportement critique et injurieux de son père, Jacques répétait souvent lui-même le même pattern, critiquant et injuriant sa femme et son enfant.

Jacques ne put faire de progrès qu'après avoir accepté les torts de son père. Il fut alors capable de commencer à se rappeler ce qui s'était vraiment passé lorsqu'il était enfant et à réévaluer les messages négatifs. Il se fâcha de moins en moins souvent contre sa femme et son fils. Il travaille actuellement très fort à établir un meilleur rapport avec tous deux.

Comment un homme intelligent de quarante-cinq ans a-t-il pu ne pas comprendre qu'il avait été battu sans raison et que, même s'il était un enfant actif et plein d'énergie, c'était son père, et non pas lui, qui avait un problème? Le père de Jacques lui avait fréquemment répété qu'il le battait parce qu'il était méchant. Même s'ils peuvent désapprouver consciemment, les enfants placés dans une situation semblable prennent généralement sur eux tout le blâme qu'on leur impute parce qu'il serait trop terrifiant de penser que leurs parents puissent être vindicatifs, injustes, ou psychologiquement perturbés.

Une personne qui subit au cours de son enfance des critiques excessives ou des mauvais traitements couvre souvent ces expériences par un manque d'amour-propre. L'expérience d'être maltraité par l'un de ses parents est si douloureuse que la plupart des gens "oublient" d'où leur vient cette image négative d'eux-mêmes. Il ne leur reste que le profond sentiment d'être foncièrement mauvais, et des conduites d'échec qu'ils tentent en vain de s'expliquer.

"Ne sommes-nous pas merveilleux?"

Dans certaines familles, le père ou la mère, ou les deux, considère comme très important de donner l'image d'une famille parfaite. Ces familles peuvent en effet sembler très heureuses de l'extérieur à tout le moins. Leurs enfants sont souvent très populaires et réussissent bien à l'école. Leurs amis les envient souvent d'avoir des parents "à qui il semble si facile de parler"

Bon nombre de ces familles sont relativement saines et fonctionnent assez bien. Mais, dans certains cas, le besoin excessif des parents de paraître parfaits en tout temps met tout le monde à rude épreuve. La marque du syndrome de la famille parfaite est qu'il est très difficile pour les parents de souffrir la critique et les conflits au sein de la famille, ou de tolérer toute désapprobation venant de l'extérieur. Le fait qu'un enfant soit malheureux n'est pas seulement un problème à affronter, mais une mise en accusation - la preuve vivante que tout n'est pas aussi parfait qu'il semble.

Dans une telle famille, un enfant qui a des problèmes en viendra peut-être à se sentir particulièrement mauvais. Si ses critiques et ses colères normales produisent un bouleversement excessif parmi les siens, il peut ressentir un profond sentiment

de culpabilité. Il est en outre possible qu'il ait l'impression d'être ingrat ou fou parce qu'il critique ses parents que tous ses amis lui envient et dont ils font sans cesse l'éloge.

Bien que certaines familles parfaites ne cachent, derrière leur façade sans défaut que des problèmes mineurs, d'autres en dissimulent de beaucoup plus sérieux - alcoolisme, violence physique ou sexuelle, activité criminelle, maladie mentale légère ou sérieuse, relation conjugale pénible et vide. En pareils cas, l'impression qu'à lenfant d'être méchant et fou peut être particulièrement intense. Parvenu à l'âge adulte, il risque de développer de graves problèmes psychologiques. Nous discuterons plus amplement au chapitre 10 de ces secrets de famille.

Le cas de Loïc

Lorsqu'il commença sa thérapie, Loïc souffrait d'une dépression de longue date et d'une sensation d'isolement, et il avait dans le passé abusé des drogues. Il nétait pas conscient alors des liens qui pouvaient exister entre son état et certains événements de son enfance. Il avait eu des parents aimants et, selon lui, très positifs; il prenait tout le blâme pour ses problèmes.

Un tableau fort différent émergea au cours de plusieurs années de thérapie. Les parents de Loïc s'étaient toujours violemment querellés. Sa mère l'avait surprotégé et le préférait à son jeune frère. Père et mère s'étaient montrés très critiques envers toutes ses petites amies.

Un jour, au milieu d'une séance de thérapie, Loïc se redressa sur sa chaise et dit: "Tu sais, Lewis, c'est pas que mes parents étaient vraiment si parfaits. C'est seulement qu'ils m'ont répété tellement de fois à quel point ils étaient parfaits et quelle chance j'avais d'être leur fils. "

Des gens comme les autres

Le roman de Judith Guest, Ordinary People, auquel nous avons fait référence au chapitre 4 lorsqu'il était question du sentiment de culpabilité du survivant, offre une description très juste de la famille parfaite. La tentative de suicide de Conrad et son hospi- Dans certaines familles, par exemple (bien que cela soit
talisation subséquente mettent en pièces l'image que Beth, sa plus rare qu'autrefois), les
filles sont traitées comme si ellesmère, s'était efforcée de maintenir. Lorsque Conrad tente de lui avaient moins de valeur que les garçons et qu'on ne s'attendait faire part de la colère, de la douleur et du sentiment de culpabi- pas à ce qu'elles fassent carrière. On les élève en bonnes ménalité qu'il éprouve, elle refuse de l'écouter. Elle ne peut supporter gères avec l'idée qu'elles
deviendront plus tard de bonnes
de reconnaître ses imperfections et se préoccupe davantage de épouses - et travailleront
peut-être jusquà la naissance de leur
ce que pensent les autres que de ce que ressent son fils. premier bébé comme secrétaires,
infirmières ou institutrices. Les
La mère de Conrad repousse les efforts que son fils fait garçons reçoivent par contre toute
l'attention et on leur fait
pour lui faire part de ses sentiments parce qu'elle se sent extrê- comprendre clairement qu'on
s'attend à ce qu'ils deviennent
mement mal à l'aise dès qu'il est question de sentiments médecins, avocats ou chefs d'entreprise.
humains, quelle qu'en soit la nature. Mais Conrad a toujours Lu-jean, secrétaire de quarante-six
ans, se souvient avec
interprété le comportement de rejet de sa mère comme la amertume combien ses parents
sino-américains ont lutté pour
preuve qu'il était un être mauvais, indigne d'être aimé. Ce nou- faire entrer dans une bonne
université son frère moins doué et
veau rejet - combiné à son apparente conviction que la tenta- moins motivé qu'elle, alors qu'ils
ont refusé de l'aider, elle, à
tive de suicide de son fils n'a visé quà la mettre dans l'embar- payer ses droits de scolarité à
l'université d'Etat locale - mal-
ras - ne fait qu'accroître les sentiments négatifs que Conrad gré le fait qu'elle avait d'excellentes notes, qu'elle avait gagné éprouve envers lui-même. plusieurs tournois oratoires à l'école secondaire et reçu d'élo

La perte d'un enfant est un coup très dur pour n'importe gieuses lettres de recommandation de la part de ses professeurs.
quelle famille. Dans cette fragile famille parfaite, où il n'est pas En conséquence, elle n'obtint jamais de diplôme universitaire permis d'exprimer au grand jour ses sentiments, cela mène à un alors que son frère, qui n'était qu'un étudiant médiocre, finit démembrement total. Amis et voisins sont bouleversés par devenir médecin.

d'apprendre un jour la séparation des parents de Conrad. Ils avaient toujours été perçus comme une famille parfaite.

Le cas de Dwight

Messages négatifs transmis par la société

Le père de Dwight était un Noir du Sud, un homme ambitieux qui avait déménagé à Detroit après la Deuxième Guerre mondiale.
Bien qu'il s'agisse d'un sujet complexe auquel nous ne pou- Grâce à ses efforts et à son intelligence supérieure, il avait réussi
vons rendre vraiment justice dans ces pages, il importe de de simple commis qu'il était à devenir gérant d'un petit magasin.
mentionner au passage que bon nombre d'entre nous avons, Lorsque ce den-der fut vendu, le nouveau propriétaire, un fanati


reçu des médias et de la société en général des messages néga- que, lui annonça qu'il ne permettrait pas "qu'un nègre dirige son tifs. Des stéréotypes très répandus sur les femmes, les magasin". Il offrit au père de Dwight un poste de concierge. En vieillards, les personnes souffrant d'embonpoint, les minorités, dépit de toutes ses compétences et de son expérience, le père de peuvent constituer de lourds fardeaux psychologiques, de Dwight fut incapable de trouver un autre poste semblable à celui sorte que certains individus se sentent incapables, dévalorisés qu'il avait perdu. Dans aucun magasin on ne voulait d'un Noir et voués à l'échec. Les messages positifs provenant de notre comme gérant. Il fut forcé d'occuper une série d'emplois subalterne.

famille peuvent parfois triompher des stéréotypes de la société, nes qui ne lui offraient aucune chance de promotion.
mais, trop souvent, elle est elle-même influencée par les mêmes Quelques mois plus tard, la mère de Dwight, qui souffrait messages négatifs. d'un ulcère à l'estomac, fit une hémorragie interne. On refusa de l'admettre dans un hôpital privé situé dans un quartier exclusivement blanc et elle mourut dans la salle d'urgence bondée d'un hôpital du comté. Le père de Dwight devint cynique et amer. Voulant sans doute protéger son fils des affreuses déceptions qu'il avait connues, il le mit en garde: il ne devait pas attendre grand-chose de la vie. Il ne réussit qu'à accabler son fils de messages négatifs qui s'avérèrent de sérieux handicaps.

Devenu adulte, Dwight prit un emploi comme installateur de téléphones. Ce travail l'ennuyait et il était convaincu qu'il était en mesure d'occuper un poste beaucoup plus élevé, mais lorsque venait le moment d'étudier pour l'examen de promotion, inévitablement il tombait endormi, ou malade, ou alors il ne parvenait pas à se concentrer. Un membre du bureau du personnel, qui croyait en ses capacités, malgré ses échecs répétés à l'examen de promotion, lui conseilla de faire une psychothérapie.

Au cours des séances de thérapie, Dwight se rappela les messages décourageants que lui avait transmis son père. Il comprit que, même si celui-ci avait ainsi cherché à le protéger, ses sombres prédictions maintes fois répétées l'avaient convaincu qu'il ne devait pas s'attendre à être bien traité. Il s'était reconnu coupable d'être foncièrement mauvais et croyait ne pas mériter de promotion.

Découvrir les messages négatifs transmis par les parents

Se rappeler les messages négatifs que nous ont transmis nos parents est difficile parce qu'il est pénible de penser que les gens que nous avons le plus aimés au monde aient pu nous faire du mal. Cela est particulièrement vrai si nous avons îdéalisé nos parents. Mais les souvenirs dorés de notre enfance ne servent trop souvent qu'à cacher un grand nombre d'expériences humiliantes et douloureuses.

Il existe deux manières de déterminer si on vous a transmis des messages négatifs. La première consiste tout simplement à se souvenir: Est-ce que l'un de vos parents ou une figure parentale avait l'habitude de vous rabaisser ou de vous maltraiter

d'une manière ou d'une autre? Vous a-t-on fréquemment transmis un message négatif explicite semblable à ceux que nous avons énoncés précédemment? Si vous avez remarqué que vous avez des conduites d'échec, même si vous ne pouvez vous rappeler de messages spécifiques, posez-vous la question suivante: "Quel genre de message pourrait me faire agir ainsi?" Par exemple, si vous constatez que vous vous sentez nerveux quand tout va bien, vous avez peut-être reçu un message comme: "Tu ne vaudras jamais rien" ou: "Les bonnes choses ne durent pas Ou on vous aura peut-être transmis des messages indirects selon lesquels vous ne valiez rien et ne méritiez pas que tout aille bien pour vous.

Rompre la chaîne

Pour ceux d'entre nous qui sommes père ou mère, l'idée d'un message parental négatif prend une signification toute particulière. Nul d'entre nous ne souhaite infliger à ses enfants ses propres messages négatifs.
Et pourtant, à moins de devenir conscients des messages négatifs que nous avons reçus de nos parents, c'est peut-être exactement ce que nous ferons.

Corriger ces patterns négatifs n'est pas une mince affaire. Il est possible que nous rencontrions une forte résistance. En ne transmettant pas à nos enfants les messages négatifs que nos parents nous ont transmis, nous deviendrons peut-être nousmêmes de meilleurs parents. Si nous réussissions à nous défaire de nos messages parentaux négatifs, nous commettrions donc le crime imaginaire de surpasser nos propres parents. il est peutêtre utile de rappeler ici que c'est généralement lorsqu'on est malheureux que l'on transmet à nos enfants des messages négatifs. Par conséquent, la meilleure chose que nous puissions faire pour eux est de mener la vie la plus heureuse, la plus positive, la plus profondément satisfaisante qui soit.

Lorsqu'il s'agit de nous défaire des messages négatifs que l'on nous a transmis et de nous pardonner nos crimes imaginaires, nos propres intérêts et ceux de nos enfants sont exactement les mêmes. Car ce n'est qu'en nous réalisant et en étant le plus heureux possible que nous pouvons livrer à nos enfants le meilleur message: "Je sais que tu auras une vie réussie, agréable, que tu te réaliseras. Tu n'as qu'à voir le plaisir que je prends à vivre ma propre vie. "

Messages négatifs courants

Voici quelques messages négatifs qu'on vous a peut-être transmis lorsque vous étiez enfant. Si l'une ou plusieurs de ces phrases vous semblent familières - ou si certains de ces messages vous font penser: "Ce n'est pas un message négatif, c'est la réalité!" -, vous avez probablement intériorisé ces messages négatifs.

Messages du type:

"Tu n'est pas digne d'être aimé(e)."
Je te déteste. "
"Si seulement tu étais mort(e).
"Disparais de ma vie."
"Je regrette que tu sois né(e)."
"Tu ne vaux rien."

- "Tu es tout à fait comme ta mère, une salope sans coeur et perfide."

- "Tu es tout à fait comme ton père, un salaud mesquin et irresponsable."

- Actions: cruauté, insensibilité ou négligence.

Messages du type:
"Ne fais confiance à personne."

"La plupart des gens ne cherchent que l'occasion de te rouler."
- Si tu veux qu'une chose soit bien faite, fais-la toi-même."

Actions: un père ou une mère promettent à plusieurs reprises d'assister à une cérémonie de remise de diplômes, à un match important de football, mais ne s'y présentent pas.

Messages sexistes

"La faculté de médecine, C'est trop dur pour une fille. Deviens plutôt infirmière."
"On ne peut avoir à la fois une carrière et des enfants. "
"Tu ne trouveras jamais de mari si tu es trop indépendante, trop directe ou trop brillante."
"Ton frère devra un jour faire vivre une famille, c'est pourquoi nous l'enverrons à l'université."
"Les grands garçons ne pleurent pas."
Actions: un père encourage son fils, mais non sa fille, à planifier des études universitaires. Une mère encourage sa fille, mais non son fils, à manifester des sentiments qui trahissent sa vulnérabilité.

Messages du type:
Tu es un(e) incompétent(e)."

"Ne peux-tu donc jamais rien faire correctement?" "Tu es tellement paresseux(euse) et indiscipliné(e)s que tu ne feras jamais rien de bon." "Tu es tellement maladroit(e)." "Tu trouves toujours le moyen de tout gâcher." Actions: critique constante.

Messages du type:
" Tu es fou (folle)."

"Tu es tout à fait comme ton oncle Joseph (un alcoolique ou un malade interné dans un hôpital psychiatrique)."

"Tu es complètement cinglé(e). Tu l'as toujours été et le seras toujours."

"Papa n'a rien qui cloche. Il ne se sent pas bien, voilà tout. Mais que je ne t'entende pas parler de ça à qui que ce soit, parce que papa va perdre son travail et nous allons tous mourir de faim (quand le père est ivre)."

Actions: le père ou la mère nie l'inceste, la violence et les injures verbales.

Messages du type:
"Tu ne peux te fier au sexe opposé."

"Les hommes ne veulent quune chose: le sexe. Une fois qu'ils ont eu ce qu'ils voulaient, ils te laissent tomber

• Les femmes ne veulent qu'une chose: un gagne-pain. Se faire offrir des cadeaux. Une fois qu'elles ont ce qu'elles veulent, elles te mettent la corde au cou et te mènent par le bout du nez."

• "Tu ne peux affronter directement un homme. Tu dois apprendre à le manipuler."

"Tu ne dois jamais montrer à une femme que tu l'aimes parce qu'elle cherchera aussitôt à te manipuler et te dominer."

Les hommes sont des salauds et tu ferais mieux de rester toute seule - mais tu ne peux pas survivre sans eux."

Actions: se plaindre constamment à un enfant de son époux(se).

Messages du type:

"Réussir, c'est échouer"

- "Le seul moyen d'accéder au sommet, c'est en marchant sur le corps de ceux qui sont en bas."

- L'argent est la racine de tous les maux."

- "Il est plus aisé pour un chameau d'entrer par le trou d'une aiguille que pour un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu.

- Actions: critiquer toute personne qui a réussi, qui est riche ou célèbre.

Messages du type:

"Il est dangereux de critiquer. "

"Si tu ne peux rien dire d'aimable, il vaut mieux ne rien dire du tout."

"Tu vas détruire ta mère si tu lui dis quelle a un problème
d'alcool."

"Ne dis rien à propos du comportement de ton père. Fais comme
si tu ne te rendais compte de rien."

Actions: une mère éperdue pleure pendant des heures dans sa chambre parce que sa fille adolescente l'a critiquée.

Messages du type:

"Ne grandis pas. "

- "Vous, les enfànts, vous êtes tout ce que je possède dans la vie."
- "Il n'y a quune bonne façon de faire les choses, et c'est la mienne."
- "Tu resteras toujours la petite fille de papa (ou de maman)."
- "Si tu essaies une chose semblable (atteindre un but qui vous est cher), tu ne pourras qu'être déçu(e).

- Actions: s'interposer constamment plutôt que de laisser l'enfant apprendre à résoudre ses propres problèmes;

désapprouver les tentatives d'un(e) adolescent(e) pour sortir avec les filles ou les garçons ou ne lui accorder cette permission qu'à un âge beaucoup plus avancé qu'il n'est habituel dans leur communauté.

Messages du type: "Le plaisir est dangereux. "

• "L'oisiveté est la mère de tous les vices. "

• "La masturbation rend fou."

• "Le sexe est sale. "

• "Le sexe t'enverra en enfer."

• "Il ny a que les hommes qui aiment faire l'amour. Pour les femmes, c'est une chose qu'il faut endurer. "

• Actions: manifester de l'anxiété dès que quelqu'un a du plaisir.

Message du type:

Reste toujours aux aguets."

• "Quand tout va bien, la catastrophe est proche."

• "Touche du bois (si tu oses dire que tout va bien, les choses tourneront mal) !

• "Ne sois pas si arrogant(e) et prétentieux(se)."

• "Si tu as terminé le travail d'aujourd'hui, mieux vaut commencer celui de demain."

• Actions: ne jamais se détendre.

Messages du type: "Ne prends pas soin de toi."

• "Sois sûr(e) que tout le monde est servi avant de te servir "

• "Ne sois pas si égoïste: tu ne te refuses rien."

• "Mieux vaut se tenir loin des médecins: si tu te sens malade, la meilleure chose à faire est d'ignorer tes symptômes et de continuer de travailler jusqu'à ce qu'ils disparaissent."

• Actions: le père ou la mère refuse de garder son enfant à la maison lorsqu'il est malade; le père ou la mère refuse d'obtenir les soins médicaux ou dentaires nécessaires.

Messages de martyr

• "J'ai eu un accouchement très difficile; en fait, j'ai failli mourir à ta naissance."

• "J'ai renoncé à ma carrière pour m'occuper de toi."

• "Tu es ma croix. Tu l'as toujours été."

• "Je suis restée pendant toutes ces années avec ce monstre pour ton bien."

• "Pourquoi me fais-tu tant souffrir?"

• "Tu ne penses jamais qu'à toi."

• Actions: ne jamais prendre soin de soi, pousser des soupirs, avoir l'air triste.

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